[1]
Alors que le COVID-19 sévit en
Europe depuis bientôt deux mois et avec un nombre de cas recensés équivalent en
Allemagne et en France au 20 avril 2020, le bilan de la France est beaucoup
plus lourd :
- 19
718 français sont morts du virus pour un nombre de cas recensés de 152 894
- 4
642 allemands sont morts du virus pour un nombre de cas recensés de 145 743[2].
Quelles
sont les spécificités allemandes susceptibles d’expliquer, au moins en partie,
cet écart ?
- L’Allemagne mise sur une politique de santé axée sur
la prévention et le dépistage massif de la population
Depuis la mi-janvier, et le premier
cas avéré en Allemagne, une politique massive de dépistage a été mise en place
à l’image de la Corée du Sud par exemple. Entre 300 000 et 500 000 personnes
sont testées en Allemagne chaque semaine avec un objectif de dépistage de 200
000 tests par jour dans les semaines à venir. En France, à la mi-mars, le
nombre de tests par jour était encore de 10 000 avec comme objectif : 30 000
tests quotidiens à l’échéance de la fin avril.[3]
Le déploiement d’un tel volume de
tests en Allemagne, dès le début de l’épidémie, a été possible grâce à la
présence et à l’appui de laboratoires indépendants, qui ont permis la
production et la mise à disposition de tests en un temps record.
Le dépistage à grande échelle reste
plus difficile en France car peu d’entreprises françaises sont productrices des
tests autorisés sur le territoire français. Une majorité des producteurs sont d’origine
asiatique ou d’autres pays européens.
En France, la stratégie a consisté à
limiter le dépistage au corps médical et aux patients présentant des symptômes
graves alors qu’en Allemagne toute personne présentant des symptômes de la
maladie (même bénins) et tous ceux ayant été au contact de malades ont été
testés.
Cette prise en charge plus précoce
en Allemagne aurait donc permis de détecter les cas plus rapidement et à les
isoler pour éviter la propagation du virus dans la population, tandis qu’en
France, la détection des porteurs du virus aurait tardé[4].
Au-delà du nombre de tests
disponibles, un autre frein observé en France concerne la régulation
contraignante en contexte de crise. En effet, au début de l’épidémie, celle-ci
n’a autorisé que les laboratoires médicaux de sécurité biologique de niveau II
et les établissements de santé de référence à réaliser des tests. En Allemagne,
cette capacité a été étendue dès le début de l’épidémie. Elle est permise dans
les centres hospitaliers et par les médecins généralistes mais également par
les laboratoires directement auprès des patients installés dans leurs véhicules[5].
- Les budgets investis dans les hôpitaux et dans la
recherche en Allemagne sont significativement plus importants qu’en France
Pour une part du PIB consacrée à la
santé sensiblement similaire dans les deux pays (environ 11%), l’Allemagne est
mieux dotée que la France en soins
intensifs. Pour exemple, l’Allemagne dispose d’une capacité de 6 lits pour
1 000 habitants, soit l’une des plus élevées de l’OCDE. Au début de la crise,
le nombre de lits de réanimation était de 28 000 au total dont 25 000 équipés
d’une assistance respiratoire. Elle dispose aujourd’hui d’une capacité de
40.000 lits dont 30.000 équipés de respirateurs pour faire face à la crise[6].
En France, le manque de moyen des
hôpitaux publics est exacerbé par l’arrivée de la crise. Au début de l’épidémie,
sa capacité est de 5 000 lits en réanimation soit 3,1 lits pour 1 000 habitants[7]. Au 31 mars, 45% de ces
lits étaient disponibles en Allemagne alors qu’en France sur 1500 places en réanimation
en Ile de France par exemple, 1 300 étaient occupés. À certains endroits comme
en Seine Saint-Denis, les hôpitaux étaient donc ainsi déjà saturés.
Trois différences liées à la
structure du système de santé et aux dépenses affectées pourraient expliquer, en
partie un meilleur contrôle de l’épidémie outre Rhin :
- L’Allemagne
est le premier pays européen en termes de dépenses de santé par habitant, et
compte 4,3 médecins pour 1 000 habitants contre 3,4 en France[8].
- Entre
2000 et 2016, l’Allemagne a entrepris des réformes qui consistaient à
privatiser les hôpitaux publics. Ainsi, dans cette phase de réforme, elle a
perdu 30% de ses hôpitaux publics et le nombre de cliniques privées a augmenté
de 45%[9]. Des études
ont montré que la qualité des soins dans les anciens hôpitaux publics s’est
améliorée après leur privatisation, entre autres, grâce à une hausse du nombre
de médecins par lit. Les études démontrent également des gains d’efficacité des
hôpitaux privés (de 3,2 à 5,4% supérieurs aux hôpitaux publics)[10].
- L’Allemagne
est un des leaders de l’OCDE en matière de dépenses dans le domaine de la
recherche. En cette période de crise, le gouvernement allemand déclare vouloir
débloquer 150 millions d’euros pour la recherche qui consisteront pour une
partie à compiler des données sur les patients COVID et aider à la conception
d’un vaccin. En France, les dépenses consacrées à la recherche sont relativement
faibles comparées à d’autres pays de l’OCDE et les scientifiques considèrent
que du temps a été perdu en faveur de la recherche sur le coronavirus depuis
l’épidémie du SRAS car une fois la menace écartée, les fonds ont baissé et
n’ont pas permis de maintenir le rythme de recherche souhaité par certains
scientifiques[11].
- Les avantages d’un système fédéral allemand
L’Allemagne est un état fédéral
composé de 16 entités autonomes, les Länder,
dotés chacun d’un gouvernement, légitimes à la prise de décision et la
budgétisation dans certains domaines tels que la santé. Face à la gestion de
l’épidémie, le fédéralisme allemand permet aussi une coopération entre les Länder.
Ainsi, les Länder les plus riches paient pour les autres moins bien
dotés pour permettre une prise en charge équivalente des patients.
Parallèlement, l’autonomie des Länder leur a permis d’adapter les
mesures de confinement à leur situation spécifique.
En France, état plus centralisé, les
mesures et conditions sanitaires dictées sont relativement homogènes entre les
régions. Toutefois le fonctionnement d’une administration centralisée suppose
qu’elle bénéficie d’un niveau de confiance élevé de la population. Or, la
confiance nécessite une part de patience qu’il est difficile d’atteindre rapidement
en situation d’urgence.
Logiquement, la levée
progressive du confinement a été engagée de façon plus précoce par l’Allemagne :
à compter du 21 avril pour la réouverture de certains commerces (moins de
800 m2 carrés) puis du 4 mai pour la réouverture de certains
établissements scolaires.
[1] Revue non exhaustive à vocation explicative. Cette revue n’a pas pour objectif de
comparer les deux systèmes de santé, qui comportent chacun des qualités et des
faiblesses.
[2] Johns Hopkins, Coronavirus resource center, Online
Dashboard : https://coronavirus.jhu.edu/map.html, consulté le 20/04/2020.
[3] Francetvinfo, journal
en ligne : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-pourquoi-l-allemagne-semble-t-elle-mieux-gerer-l-epidemie-que-la-france_3894519.html
[4],6 LCI, journal en ligne : https://www.lci.fr/international/coronavirus-pourquoi-l-allemagne-s-en-sort-mieux-que-ses-voisins-europeens-pour-le-moment-face-a-l-epidemie-de-covid-19-2150458.html
[5] Le Monde, journal en ligne : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/03/20/coronavirus-la-france-pratique-t-elle-assez-de-tests_6033865_4355770.html
[6] Francetvinfo, journal en ligne : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-pourquoi-l-allemagne-semble-t-elle-mieux-gerer-l-epidemie-que-la-france_3894519.html
[8] France culture, en ligne : https://www.franceculture.fr/politique/y-a-t-il-un-modele-allemand-dans-la-lutte-contre-le-coronavirus
[9] Le courrier des stratèges, en ligne : https://lecourrierdesstrateges.fr/2020/04/06/le-systeme-de-sante-allemand-prive-et-concurrentiel-fait-beaucoup-mieux-que-les-systemes-publics-francais-et-anglais/
[10] Le secteur privé dans un système de santé
public : l’exemple allemand, Frederik Cyrus Roeder, Institut économique de
Montréal, février 2012.
[11] France tvinfo, journal en ligne : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-pourquoi-l-allemagne-semble-t-elle-mieux-gerer-l-epidemie-que-la-france_3894519.html